""Murano découpe sur le ciel bleu ses clochers et ses toitures. C'est une île célèbre et qui mérite que nous la visitions... C'est ici, en effet, que les nobles Vénitiens de l'autre siècle avaient leurs petites maisons. Les murailles, aujourd'hui fendillées et décrépites, ont bien souvent retenti des éclats d'un rire joyeux et du bruit des verres. Derrière leur ombre discrète, elles ont abrité plus d'un couple amoureux et protégé bien des rendez-vous aimables. Aujourd'hui c'est à Murano que s'est transportée la Venise industrielle. C'est là qu'on fabrique ces verreries et ces verroteries si justement célèbres, ces filigranes de verre qui semblent tissés par les doigts d'une fée. C'est une des industries d'art les plus anciennes qui soient demeurées en Europe aux mains d'une population sans jamais cesser d'être exploitées "" (Henry Havard - Amsterdam et Venise - 1876)
""Murano et Torcello pointaient leurs clochers comme des tours émergeant d'un désert. Des oiseaux tournoyaient et des fumées s'enfuyaient vers le Sud. Encore de longues bandes roussâtres, l'eau lourde et, seuls animateurs de ces espaces, des pieux, pour indiquer des passes, des pieux aux têtes noircies, qui réunis en faisceaux semblaient des serpents se mordant sur la mer"" (Jacques Adelswärd-Fersen - Notre-Dame des Mers Mortes - 1902)
""Un peu plus loin, à une demi-heure en gondole de la Piazzetta, est la célèbre Murano, où naquit la peinture vénitienne, et où l'industrie du verre avait pris autrefois de si beaux développements"" (Jules Gourdault - Venise et la Vénétie - 1886)
""Murano. Tous les étrangers y visitent les verreries, et les poètes commémorent les délices de ses jardins, fameux dans toute l'Europe avant que la République eût fait la conquête de Padoue et que les grands seigneurs peuplassent la Brenta"" (Maurice Barrès - La Mort de Venise - 1916)
""C'est à Murano que se trouvent les anciennes fabriques de verroterie auxquelles Venise dut jadis une partie de sa renommée industrielle, et qui entretiennent encore maintenant un grand commerce, surtout avec le Levant. Ces manufactures ont conservé le secret de leurs moyens de fabrication, et font à très bas prix une foule de petits objets charmants, tels que des perles, des bracelets, des colliers, qui servent de parure aux femmes du peuple : la misère peut ainsi se permettre l'éclat et le luxe apparent de la richesse"" (Jules-Léonard Belin - Le Simplon - 1843)
""Cette île est aussi traversée d'un canal plus grand que les autres canaux de la même île, et les fameuses Verreries dont vous avez tant ouï parler, sont sur ce canal... Autrefois, le verre qu'on appelle cristal de Venise, était le plus beau de l'Europe"" (Maximilien Misson - Voyage d' Italie - 1720)
""Ce qui rend Murano recommandable, ce sont les verreries. On y fait aussi des glaces mais elles doivent à présent céder aux nôtres, soit pour la grandeur, soit pour la netteté et la façon dont elles rendent les objets. L'on faisait il n'y a pas encore longtemps, publiquement dans les verreries des jouets ou hochets pour les religieuses ou jeunes filles. A présent, on le leur a défendu sous peine d'excommunication. Ce qui ne les a pas empêché d'en faire un devant moi et de m'en fournir une douzaine pour le service de mes amies. Murano sert encore de guinguette l'été et dans le canal qui le traverse le jour de l'Ascension, toute la ville y vient faire le cours. On le tient tout l'été depuis le pont de Rialto jusqu'au port"" (Comte de Caylus - Voyage d'Italie - 1714-1715)
""Ils modèlent, pour moi, un petit flacon aux couleurs de l'Italie, qui pousse dans la flamme comme une fleur féerique ; ils tournent au moyen de pinces la pâte embrasée ; leurs visages bruns se meuvent sur la fournaise, où se forment, au gré de leur souffle, mille tubes déliés. Le feu des forges et celui des verreries doit griser comme un vin chaud, car tous les forgerons et tous les verriers chantent avec furie en battant le fer ou en tordant le verre. Les ouvriers de Murano entonnent devant moi un vieux refrain de barcarolle, qu'ils changent en menace prophétique contre les Tedeschi, il s'agit d'un esturgeon qu'on harponne dans la lagune, où il a osé se montrer. La fabrique des glaces est située à Murano de l'autre côté du canal, où est la fabrique des perles ; on ne fait plus à Venise que des miroirs français. L'usine est dirigée par un Parisien, qui met l'industrie moderne bien au-dessus de l'ancienne, et se garderait de produire, ou plutôt de reproduire, ces glaces d'art et ces lustres splendides de Venise, si recherchés des connaisseurs. Je visite les deux vieilles églises de Murano, celle de San Pietro Martyre et celle degli Angeli..."" (Louise Colet - L'italie des Italiens - 1862)
""Les gentilshommes émérites de Murano nous firent souffler dans leurs tubes pour nous initier aux procédés de leur industrie. C'était à qui mieux mieux parmi nous. Mais il nous fut dit ensuite qu'il était d'usage de remplir de vin les vases qu'on avait fabriqués. Nos vases étaient des outres : il fallut s'exécuter de bonne grâce"" (Flandin - Voyages - 1838)
""Murano est bien déchu de son antique splendeur; ce n'est plus, comme autrefois, la magicienne des fausses perles, des glaces et des verroteries. La chimie a éventé ses secrets ; elle n'a plus le privilège de ces beaux miroirs à biseaux, de ces grands verres au pied de filigrane, de ces buires rubanées de spirales laiteuses, de ces boules de cristal qui semblent une larme de la mer figée sur les délicates végétations océaniques ; de ces rassades qui bruissaient sur le pagne des noires Africaines. La Bohême fait aussi beau, Choisy-le-Roi fait mieux. L'art, à Murano, est resté stationnaire dans le progrès universel. Nous visitâmes une de ses verreries, où l'on fabriquait de petites perles de couleur. De longs fils creux, de nuances différentes, les uns transparents, les autres opaques, sont hachés par petits fragments, puis roulés dans des boîtes, jusqu'à ce que le frottement les ait arrondis ; on les polit, puis on enfile ces perles avec du crin et on les réunit en écheveaux. On souffla pour nous une bouteille tramée d'un ruban de filigrane blanc et rose. Rien n'est plus simple et plus expéditif que le procédé. L'ouvrier verrier était un grand et beau garçon, à cheveux noirs et frisés, dont la mine vermeille ne s'accordait guère avec les préjugés que l'on avait autrefois sur cette profession réputée mortelle, et que les gentilshommes pauvres pouvaient à cause de cela exercer sans déroger. Il prit un peu de verre en fusion au bout de son tube, y amalgama le filet de couleur qu'il voulait tourner en même temps, et d'une seule haleine souffla sa pièce, qui s'enflait frêle et légère comme une bulle de savon. Il nous fit de même un verre qu'il nous abandonna pour quelques zwantzigs. Murano renferme une autre curiosité qu'on nous fit voir avec un certain orgueil, un cheval, animal plus chimérique à Venise que la licorne, le griffon, les coquecigrues, les boucs volants et les cauchemars. Richard III y crierait en vain : “Mon royaume pour un cheval.” Cela nous fit un certain plaisir de voir cet honnête quadrupède, dont nous commencions à oublier l'existence. La rencontre de ce cheval nous donna une espèce de nostalgie de terre ferme, et nous revînmes à Venise tout rêveur "" (Théophile Gautier - Italia - 1855)
""Il se fait un grand commerce en Europe de certaines perles de verre qui se font à Murano et se façonnent à Venise, qui s'envoient en Italie et dans le reste même de l'Europe, pour les Sauvages et Nègres. Car, pour les verres à filagrammes, ouvragés et colorés, que j'ai vus à Murano, ce sont des gardes-boutiques et la foire de Sinigaglia qui achètent beaucoup de ces verres ; ce qui fit que les magasins que j'en ai vus étaient presque vides"" (Montesquieu -Voyages - 1728-1729)
""J'ai été aujourd'hui à Murano, qui est une petite ville séparée d'environ un mille de Venise, où l'on fait toutes les glaces et toutes les verreries qui se font dans ce pays-ci. J'y ai vu travailler aux glaces ; les ouvriers qui les font sont plus adroits et plus habiles que ceux que nous avons vus en France. Je n'ai pourtant pas vu faire de plus grandes glaces ; mais ce que j'y ai pu remarquer m'a fait comprendre aisément de quelle sorte il se faut prendre à cette nature de travail"" (Colbert - L'Italie en 1871)
""La ville, de près de 4 000 habitants, posséda du XIII ème au XVIII ème siècles des franchises et des droits particuliers dus à la noble industrie du verre, qui est encore sa spécialité. Les citoyens de Murano pouvaient aspirer aux plus hautes charges de la République. Les maîtres verriers étaient de droit gentilshommes et les enfants nés de l'union d'un patricien de Venise et de la fille d'un verrier héritaient de la dignité de leur père. Nous passons dans des salles où des ouvriers, tranquillement assis devant des tables spacieuses, semblent occupés à ce jeu d'assemblage en bois découpé si prisé des enfants. Mais ici le bois découpé est remplacé par des tas de petits cubes de verre de toutes les couleurs. Chaque ouvrier a devant lui un papier sur lequel est reproduit un fragment du modèle à exécuter. Il cherche dans ses gammes de tons, comme pour une tapisserie, le petit cube qui convient, le colle à sa place sur le papier et, passant d'une nuance à l'autre, finit par couvrir ce papier qui, joint à ceux des autres ouvriers, forment une surface plus ou moins vaste que l'on applique avec des enduits spéciaux sur une façade, autour d'une colonne ou dans une coupole à décorer. Le panneau étant sec, il ne reste plus qu'à décoller le papier primitif et la mosaïque apparaît inaltérable, avec ses fonds d'or et toutes ses nuances. De là nous allons voir les fours éblouissants où des ouvriers, véritables artistes, vont puiser au bout d'un tube métallique la boule de verre en fusion qu'ils transforment devant nous en feuilles d'acanthe, en hippogriffes pailletés d'or ou autres animaux de haute fantaisie. L'inévitable petit chien de verre, exécuté en une minute, nous est offert, provoquant le pourboire et annonçant la fin de la visite. On a hâte, d'ailleurs, de quitter cet antre embrasé pour aller respirer au dehors, sur le petit bateau qui nous ramène, l'air vivifiant du large. Ce métier de souffleur et mouleur de verre est si pénible qu'il faut compter sur l'atavisme pour le recrutement des ouvriers. Seuls, les verriers de père en fils peuvent supporter le travail devant les fours, et encore faut-il qu'ils viennent dès l'enfance s'habituer tous les jours à cette température jusqu'à l'âge où ils seront aptes à devenir eux-mêmes ouvriers"" (Eugène Faugière - Italie - Notes et Croquis - 1905)
Demain, nous ferons une pause tout près de Murano, à Isola San Michele, avant de regagner Venise...
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